lundi 2 janvier 2012

(Petit) Voyage au sein du judaïsme américain Episode 2: Chicago, suite + NYC

Nous en étions donc au samedi matin, dans un petit oratoire Loubavitch de West Rogers Park. J'arrive un peu plus tôt que le début de l'office (ce qui ne m'arrive en général jamais), et parcourt la petite bibliothèque, assez classique dans son contenu pour une Schule américaine et où je retrouve donc toutes les principales productions d'Artscroll.
Qu'est-ce qu'Artscoll ? Pourquoi une maison d'édition a-t-elle pris autant d'importance au point qu'on parle aux Etats-Unis de révolution Artscroll et qu'un livre vient de sortir pour revenir sur le phénomène (Orthodox by Design, the Artscroll Revolution de Jeremy Stolow) ?


Au début, l’idée est simple : faire des livres traitant de thèmes religieux, avec une partie anglaise (traduction ou commentaire) mais en soignant leur aspect extérieur, leur typographie et leur fabrication. C’est simple, mais en parfait décalage avec ce qui se faisait jusqu’alors. Rappelez-vous en France, il y a une vingtaine d’années lorsqu’on voulait se plonger dans des commentaires de la Thora en langue française, vers quoi se tournait-on ? Vers La Voix de la Thora d’Elie Munk qui est un fantastique travail et un agencement très intelligent des nombreuses interprétations autour du pentateuque. Mais franchement : qui fait encore des mises en page aussi pourries ? Les commentaires sont séparés du texte original, en police Courier caractères 8 et pas superbement imprimé. On aura beau dire que ça a un certain charme, le lecteur de 2010 est habitué à profiter des innovations d’édition apportées notamment par le passage au numérique. 

Aujourd’hui, de nombreuses maisons d’éditions ont copié Artscroll, mais c’est cette maison qui la première a révolutionné le genre en éditant des commentaires de la Thora, un Siddur, des éditions de la Meguilat Esther, du Cantique des Cantiques, etc… 
Une des plus importantes réalisations d’Artscroll étant leur édition du Talmud Babli traduite en anglais, en hébreu et même en français avec des commentaires assez pointus et toujours le même souci de la mise en page et de l’édition. En matière de Talmud traduit,  je ne comprends personnellement pas pourquoi s’obstiner à aller voir du côté de l’édition Steinsaltz qui possède plusieurs inconvénients par rapport à l’édition Artscroll : pas accès à la page originale du Talmud, traduction qui prend quasi-systématiquement l’interprétation de Rachi et qui ne permet pas de percevoir les différents niveaux de compréhension, commentaires beaucoup moins élaborés, etc…
En cette fin d'année 2011, leur fameux Houmach traduit et commenté (Pentateuque) vient d'ailleurs de sortir en français et il bénéficie déjà d'un incroyable succès dans toutes les bonnes librairies. C'est mérité: l'édition est d'une qualité remarquable.


Bref, tout ça pour dire que je regardais la bibliothèque de cette petite Schule Habad (si je fais autant de digressions sur chaque heure passée aux US, on n’est pas arrivé…) et que je tombe sur une édition du Houmach, que je crois justement être d’Artscroll : couverture en relief simili-cuir, papier parchemin, mise en page impeccable, etc.…
Mais à ma grande surprise, il s’agit en fait d’une édition Loubavitch (Kol Menahem). A ma grande surprise parce que contrairement à d’autres publications du mouvement Habad, ils n’ont pas oublié qu’il y avait un monde avant Chnéour Zalman de Lyadi (le fondateur de la dynastie Habad). Pour chaque Paracha, certains passages sont approfondis : d’abord en posant les questions classiques (« Classic Questions ») que ce morceau de bible a suscité puis en apportant les réponses de commentateurs extrêmement variés et de toutes les époques. Certains sont connus et classiques: Rachi, Nahmanide, Ibn Ezra, Sforno, Maïmonide, d’autres plus confidentiels : Paneah Raza, Nahalat Yaakov, Minha Beloula, Mikdach Melekh, Tsror Hamor (magnifique commentaire de R.Avraham Saba, issu de la génération des expulsés d’Espagne au 15ème siècle). Plus intéressant encore, l’ouvrage n’hésite pas à convoquer parfois des passages talmudiques ainsi qu’un corpus halakhique pour expliquer certains passages bibliques. Encore une fois, la variété des sources convoquées surprend pour un ouvrage édité par Habad, mais c’est une excellente surprise.

Puis un approfondissement rédigé à partir de développements du Rabbi de Loubavitch mais qui s’appuient toujours sur des raisonnements logiques ou des recours à des sources talmudiques ou midrachiques. Après chaque approfondissement, des encadrés prenant appui sur ce qui précède pour en tirer une conclusion morale à partir d’histoires ou d’enseignements hassidiques (« Sparks of Hassidus »). L’édition est superbe, les commentaires sont structurés, parfaits pour une étude hebdomadaire surtout que le texte est magnifiquement imprimé, qu’une traduction en anglais est disponible ainsi que les classiques commentaires d’Ounkelos et de Rachi.


Je n’ai pas hésité malgré mon excédent de bagages : j’ai acheté cette édition à New-York et l’ai emporté en France, en espérant bientôt une édition similaire en français !
Retour à l’office : bon, je vous la fait courte, un petit kiddouch a suivi, j’ai même à plusieurs milliers de km de chez moi rencontré la fille d’un fidèle de ma communauté d’origine, mangé un petit tchoulent, avant de prendre le repas de Shabbat chez un couple Loubavitch qui avait invité mes amis et  qui a très gentiment accepté de m’accueillir également.


Ce couple d’une quarantaine d’années est formé de Juifs américains pur sucre, américain depuis plus d’un siècle voire plus pour une partie de la famille du mari. Tous les deux avocats, notre couple est revenu à la Tradition depuis un peu moins d’une dizaine d’années, à travers notamment le mouvement Loubavitch. Le repas de Shabbat fut très sympathique, ponctué de discussions autour des différences entre judaïsme français et américain. Une des plus criantes est l’attitude des Juifs français (séfarades) par rapport à la Halakha : on travaille shabbat, on mange pas 100% casher, mais on le sait et on assume. Pas question de commencer à se raconter des histoires et de vouloir chercher une cohérence artificielle qui réduirait la pratique juive au standard des modes de vie occidentaux avec un petit bout de spiritualité «à part », comme Sally demandait sa sauce à part dans le légendaire film contant sa rencontre avec Harry et un peu comme une partie de la communauté juive américaine.

La surprise de ce Chabbat vint du petit commentaire de thora délivré par notre hôte. Non pas que l’histoire hassidique impliquant certains pouvoirs surnaturels du Rabbi me surprît, mais le récit faisait intervenir deux autres personnalités rabbiniques. L’un étant l’Admour de Bobov. Jusque là rien d’anormal, on reste dans le Hassidique. Mais l’autre : Rabbi David Pinto ! En plein Chicago, dans une famille purement américaine Loubavitch, ils connaissaient Rabbi David Pinto ?  J’avoue, les marocains parfois sont vraiment très forts. 
Le Shabbat se termina comme souvent par de la lecture et une petite sieste bien méritée avant de passer une dernière courte nuit à Chicago. Je dis courte nuit parce que l’avion pour New-York m’attendait de bon matin !
3 jours à New-York, tout seul, que demande le peuple ? Je vous passe évidemment les détails touristiques pour me concentrer sur ce qui peut attirer l’attention du point de vue du monde juif. Déjà… la bonne chère ! Manque de pot, j’avais prévu mon voyage en plein pendant les 9 jours de Av pendant lesquels la consommation de viande est interdite. Désolé cher lecteur, tu ne trouveras pas ici de critique gastronomique des restaurants bassari de New-York. La seule chose que je puis mentionner est que de l’avis unanime des locaux, les deux meilleurs restaurants viande de New-York sont Le Marais et Prime Grill.


Maintenant pour ce qui est du Halavi. Globalement une remarque : un Juif français, ou plutôt parisien, n’a pas grand-chose à envier à l’offre gastronomique casher de New-York. Je trouve l’offre parisienne plus variée et de meilleure qualité. J’ai par exemple mangé un soir dans un restaurant gastronomique italien « Gustavo va Mare » sur la 53ème (entre 2nd et 3rd). C’est très cher, même avec un dollar faible et beaucoup moins satisfaisant qu’un Inte Caffe ou qu’un Il Conte. Le service est correct sans plus. Bref, un tantinet déçu.

Pour le midi, il y a bien sûr nombre de restaurants de type Deli, où il est possible de manger un peu en mode self service, soit des parts de pizza, soit des pâtes, soit des salades, etc… C’est très pratique, surtout qu’ils sont en général très bien situés. Ce qui m’a d’ailleurs valu une forte incompréhension lorsque je voulus déjeuner dans un Deli appelé Rosa Pizza au 350th 5th Avenue, juste à côté de mon hôtel. Je déambule tranquillement jusqu’à l’adresse indiquée et  me retrouve nez à nez avec….l’Empire State Building. Je tourne, retourne, pianote sur mon iPhone pour vérifier l’adresse, mais non pas d’erreur : le restaurant a la même adresse que l’Empire State Building. Je crois alors à un petit coup de mégalomanie d’un restaurateur Juif new-yorkais, jusqu’à ce que je comprenne qu’en effet, en entrant dans l’Empire State Building et en empruntant la galerie située au fond à gauche, on tombe en effet vers une très sympathique petite échoppe ou on peut avaler pizzas, pâtes, gratins, salades, etc….


Je pourrais encore vous parler des heures des librairies juives de Manhattan, pas très différentes des librairies parisiennes à la notable exception de la place prépondérante que prennent les ouvrages relatifs à la Shoa, de la transformation progressive des stands ambulants de vente de hot-dog Casher qui sont de plus en plus Hallal ou du hasard invraisemblable qui m’a fait rencontré en pleine 5ème avenue un ami que je n’avais pas vu depuis des années.


Mais ça n’ajoutera pas grand-chose au fait que New-York (en fait Manhattan pour ce séjour) est une ville hors du commun, larger than life comme disent les Américains et que ce cela se ressent évidemment aussi au niveau de la vie juive. Et que j’attends avec impatience d’y retourner !