lundi 21 janvier 2008

Tou Bichvat - La fête du vide

J'ai assisté l'année dernière à un cours du Rav Zyzek à la Yéchiva des Etudiants, pendant lequel celui-ci a appelé Tou Bichvat, "La fête du vide".

Pourquoi ? Parce qu'il ne se passe quasiment rien à Tou Bichvat.

En tous cas d'un point de vue halakhique, de quoi ça parle ? En fait, de rien de spectaculaire, mais attention c'est un peu technique:

Stratégie d'imposition de la Thora:

On sait que beaucoup de lois sont liées à la Terre d'Israël, notamment ce qu'on appelle les Teroumot et Maaserot, que nous appellerons pour simplifier les prélèvements obligatoires.
Sur un cycle de 7 ans, on prélève différentes choses en fonction des années (ça aurait pu d'ailleurs inspirer nos candidats pour l'élection présidentielle: des prélèvements sociaux sur les années 1,2,4 et 5, des augmentations de TVA sur les années 3 et 6, et pas d'impôts du tout la 7ème année pour relancer l'économie !).
Bon c'est pas tout à fait ça mais ça y ressemble: la 7ème année, la terre est laissée en jachère et il est interdit de profiter des produits de la 7ème année (c'est la Chemita).

L'interdiction de la fongibilité:

Par ailleurs, pour employer un terme de comptabilité publique, la fongibilité est interdite. En d'autres termes, il est interdit de donner en prélèvement pour la 5ème année du produit de la 3ème ou 4ème année (ce qui serait envisageable pour des denrées non périssables comme les céréales par exemple).

Comment différencier les années de production des fruits ?

Il faut donc être très précis dans le contrôle de l'année de provenance des récoltes. Et pour cela, il faut déterminer une date fixe qui permet de passer d'une année à l'autre. La première michna du traité Roch Hachana définit que:
* pour les légumes, c'est le 1er Tichri (Roch Hachana)
* pour les fruits, il y a discussion entre Beth Chamaï et Beth Hillel, mais comme d'hab c'est Hillel qui gagne et c'est donc le 15 Chevat (Tou Bichvat)

C'est donc TouBichvat qui permet de décider si on est en année n ou en année n+1 pour les prélèvements fruitiers.

Voilà pour la partie halakhique. Mais qu'est-ce que ça nous dit pour notre dimension existentielle ?

Un début de réponse...

Quelle est la différence entre un fruit et un légume pour la Thora ?
Le légume nécessite un arrosage constant pour pouvoir survivre.
Le fruit, lui, est dépendant d'un tronc, qui a juste besoin d'une montée de sève unique.
Une fois que cette montée de sève s'est produite, l'arbre peut a priori donner ses fruits pour toute l'année.
Vous l'avez compris, Tou Bichvat, c'est la date à laquelle la montée de sève intervient.

Le parallèle avec notre vie d'homme ? C'est que pour pouvoir apprécier des fêtes ultérieures comme Pourim ou Pessah, il faut d'abord que se crée une attente, une envie. Ou comme dirait Johnny dans un élan prophétique (et ce n'est pas pour rien que Goldman a écrit cette chanson), il faut retrouver "L'envie d'avoir envie". (Il faudrait d'ailleurs que je me mette à une série de posts "Les chansons de Jean-Jacques Goldman et la Thora", je pourrais en écrire des pages...)

On peut faire tous les commentaires du monde sur tout ce que le judaïsme a produit en terme de pensée, d'éthique, de tradition, si l'on a en face une personne qui n'a aucune attente spirituelle, aucune envie spécifique d'entendre, aucune once de curiosité, rien ne peut passer.

Et Tou Bichvat, c'est le début de cette attente. C'est un moment complètement intérieur, qui ne s'extériorise pas du tout, mais qui représente une montée de sève, la montée de quelque chose qui va initier une démarche.

Voilà pourquoi on peut en effet appeler ça la fête du vide: pas de lecture spéciale à la synagogue, aucune interdiction spécifique, rien, juste quelque chose d'intérieur. Un vide qui permet de construire quelque chose.

Comme la nature a horreur du vide, les kabbalistes de Safed au 16ème siècle ont institué une coutume consistant à manger des fruits à Tou Bichvat. Mais c'est plus du folklore qu'autre chose. Ensuite, le Hemdat Yamim (le fameux Nathan de Gaza, personnage central de l'épopée de Shabtaï Tzvi) a institué un Séder bien ordonné, avec des prières, etc... mais vu la provenance douteuse de ce texte, on peut douter de sa pertinence.
D'ailleurs, dans le Choulkhan Aroukh de Rabbi Yossef Karo, qui était un de ces Kabbalistes de Safed, il n'est fait aucune mention de la tradition de manger des fruits. La seule chose mentionnée sur Tou Bichvat (en dehors des questions agricoles) c'est qu'on ne fait pas les Tahanounim (on demande pardon pour nos fautes).
Ce qui est quand même bien léger...voire vide ;-)

Hag Sameah !

PS: si vous avez bien lu, nous avons démontré que l'homme était un légume. En effet, le début de l'année pour l'homme est le 1er tichri, la même date que les légumes. Ce qui est cohérent puisque l'homme est une créature qui nécessite un effort régulier et systématique pour sa progression spirituelle et matérielle, sous peine de déperir sous le règne de la glandouille....