mercredi 30 mai 2007

Beealotekha - la Tragédie du Leadership

Beaalotekha, c'est une des plus troublantes Parachyiot de la Thora.

Incroyablement riche en évènements et en rebondissements, elle mérite malgré tout 2/20 en rédaction.
En français, vous avez appris la fameuse structure rédactionnelle: introduction, développement, conclusion. La Thora ne respecte pas vraiment toujours ce dogme rabâché aux élèves du lycée, mais elle a tout de même un souci de clarté: les histoires sont menées d'un bout à l'autre, les parachyiot ont un sens interne très lisible, bref, on comprend ce qui se passe.

Dans Beaalotekha, c'est très étonnant, on a plus l'impression de se retrouver au milieu d'un bazar sans queue ni tête. Je vous fais un rapide résumé de ce qu'il y a dans la Paracha, mais sachez quand même que la lecture intégrale de la Paracha sera nettement plus éclairante.
Alors, au menu:
- Aaron reçoit l'ordre de s'occuper de la Ménora, touche finale à l'inauguration du Michkan,
- La sanctification des Levy et leur rôle dans le Michkan
- Pessah Cheni, le 2ème Pessah un mois plus tard pour ceux qui auraient raté le premier...
- La façon dont les Hébreux voyagent à l'aide des nuées pour les diriger
- Le commandement de fabriquer des Trompettes pour pouvoir rassembler le camp
- Puis, un passage complètement lyrique de Moïse qui cherche à faire venir son beau-père Yitro avec eux lors de l'entrée en Israël
- Et puis, un passage très bizarre, entrecoupé graphiquement par un Noune à l'envers au début et un Noune à l'endroit à la fin dans lequel on parle de l'Arche (vous savez celle d'Indiana Jones dans le 1)
- Ensuite, les problèmes commencent: les hébreux veulent de la viande et en ont marre de la Manne
- D-ieu s'énerve, Moïse se plaint
- D-ieu lui file des assistants pour l'aider
- Eldad et Medad, 2 quidams, se mettent à prophétiser dans le camp que Moïse ne rentrera pas en Israël et que Josué prendra sa place
- Et finalement vient l'histoire de Myriam qui, dit-on fait du Lachon Hara sur son frère

Comme vous le voyez, c'est tout et son contraire, des passages apparemment sans aucun rapport: une Paracha pour le moins mystérieuse.
Le Rav J.D Soloveïtchik, dit "Jibi" pour les intimes, a prononcé une conférence mythique sur ce sujet en 1974. Parce qu'il faut dire que Jibi n'est pas n'importe qui: c'est le petit-fils du grand Rav Haïm de Brisk qui a été le grand promoteur de l'étude quasi-mathématique du Talmud et de la Halacha.
Il prolongea l'oeuvre de son grand-père dans ses oeuvres, notamment la plus connue "L'homme de la Halacha". Mais il a été aussi un leader, chef de la néo-orthodoxie américaine, qui éclaira d'un jour nouveau la pratique du judaisme dans le monde moderne.

Pour revenir à cette conférence mythique, son objectif était le suivant: restaurer l'unité profonde de cette Paracha.
Essayons de comprendre son approche: Pour le Rav Soloveïtchik, cette Paracha est en fait une seule histoire que l'on pourrait appeler ainsi: la Tragédie du Leadership.
On l'a déjà dit, il y avait 2 objectifs à la sortie d'Egypte: le don de la Thora et la construction du Michkan.
Après ces 2 évènements, il ne restait plus qu'une seule chose à accomplir: l'entrée en Israël.

Pour le moment, ca s'est plutôt bien passé. Certes, la faute du veau d'or a retardé la construction du Mishkan de 80 jours, mais au final, le Michkan a été construit. Et le début de Beaalotekha, c'est la fin de l'édification du Michkan: la Ménora et la sanctification des Levy.
Nous étions le 13 Nissan, il ne restait plus qu'à se mettre en route pour la "marche finale". Mais Pessah, approchant, il fallait attendre le 2ème Pessah célébré par les Hébreux dans le désert avant de commencer la marche.
Cette fameuse marche, tout le monde l'attend, il y a un sentiment d'excitation dans cette Paracha, comme si tout le monde attendait "l'ultime évènement". C'est pour cela qu'on nous parle des modalités de cette marche: qui mène la marche (les nuées), comment rassemble-t-on le peuple (avec des trompettes), etc...

Et puis vient cette mini-discussion entre Moïse et son beau-père:

"Moïse dit à Hobab, fils de Réuel, le Madianite, beau-père de Moïse: Nous partons pour le lieu dont l'Éternel a dit: Je vous le donnerai. Viens avec nous, et nous te ferons du bien, car l'Éternel a promis de faire du bien à Israël. Hobab lui répondit: Je n'irai point; mais j'irai dans mon pays et dans ma patrie. Et Moïse dit: Ne nous quitte pas, je te prie; puisque tu connais les lieux où nous campons dans le désert, tu nous serviras de guide. Et si tu viens avec nous, nous te ferons jouir du bien que l'Éternel nous fera."

Cette discussion, explique le Rav Soloveïtchik, est une métaphore entre le Juif et les Nations.
Car Yitro vient de Midian, c'est un étranger.
Et Moïse lui explique: "Ca y est, c'est la fin de l'histoire ! Nous arrivons au bout, nous allons arriver en Israël ! Servir D.ieu jusqu'à la fin des temps".
Moïse en est certain. On n'est plus dans le "Je crois que Mashiah arrivera un jour": ca y est, il est là ! Pas de problèmes, pas de doutes, tout est simple ! Moïse, par le biais de Ytro, invite l'ensemble des peuples de la terre à rejoindre la Thora pour la fin des temps...
Et puis...le passage étrange avec les Noun inversés, qui est considéré par le Talmud comme un Livre à part entière.
Ce passage: "Quand l'arche partait, Moïse disait: Lève-toi, Éternel! et que tes ennemis soient dispersés! que ceux qui te haïssent fuient devant ta face! Et quand on la posait, il disait: Reviens, Éternel, aux myriades des milliers d'Israël!" n'est pas à sa place.

Il n'est pas question de guerre à ce moment: Amalek est derrière eux et les futurs guerres n'auront lieu que 40 ans plus tard. Ce passage, ainsi que la présence des Noun inversés, veut nous dire quelque chose de plus profond.
Le Noun inversé c'est que quelque chose s'est déréglé. Cette belle certitude selon laquelle nous étions prêts pour le dernier voyage a été ébranlée. Comme si D.ieu disait: "je mets entre parenthèses ma protection divine".

A partir de ce moment là, l'histoire juive a pris un tournant fondamental, que nous continuons encore de subir aujourd'hui. La raison de ce dérèglement ?
Apparemment, pas grand chose: "Le ramassis de gens qui se trouvaient au milieu d'Israël fut saisi de convoitise; et même les enfants d'Israël recommencèrent à pleurer et dirent: Qui nous donnera de la viande à manger? Nous nous souvenons des poissons que nous mangions en Égypte, et qui ne nous coûtaient rien, des concombres, des melons, des poireaux, des oignons et des aulx. Maintenant, notre âme est desséchée: plus rien! Nos yeux ne voient que de la manne."

Ils veulent de la viande. Est-ce plus grave que le Veau d'or par exemple ? Certainement dit le Rav Soloveïtchik.
Le Veau d'Or était la réaction presque naturelle d'un peuple effrayé car il croit que Moïse, son leader, est mort. Il ne peut pas assumer de servir D.ieu sans représentation, alors son instinct le pousse à créer une idole. Mais l'intention reste bonne: il s'agit de servir D.ieu. Dans le cas de la viande, l'idolâtrie est nettement plus grave: le comportement est païen, il ne s'agit plus de servir D.ieu, il s'agit d'en vouloir toujours plus, d'être dirigé par un désir insatiable et infini, c'est la notion grecque d'Hédonisme, c'est penser que l'homme peut atteindre une valeur uniquement possédée par D.ieu: l'omnipotence et l'infini.
Grave transgression que de se prendre pour D.ieu.
Car c'est passer outre les valeurs de mesure et de limitation demandée par la Thora. La preuve ? La Manne. Il y en avait pour tout le monde. Ce qu'il fallait. Pas de "Rab" pour satisfaire l'instinct du "toujours plus". Cette attitude a remis en cause la fin des temps. C'est ce que Moïse sent. Et c'est ce que Eldad et Medad se mettent à prédire à l'intérieur du camp. Les problèmes commencent.
En 2007, on dirait: "C'est la merde".

Et c'est également là que Moïse découvre quelque chose d'essentiel. Il pensait que son rôle de Leader était d'être un Enseignant. Ce qui était vrai ! Passer du statut d'Esclave à celui d'homme libre nécessite une éducation particulière, un enseignant de haut-niveau !
Mais Moïse découvre dans cette histoire quelque chose d'autre. En plus d'être un enseignant, il se doit d'être aussi...une mère pour ses enfants. Il se doit d'être une mère car il doit réagir aux réactions les plus infantiles du peuple, il doit le protéger, anticiper son besoin, être heureux quand le peuple est heureux, avoir de la peine lorsqu'il en a....comme une mère avec son bébé.

Et ça Moïse ne sait pas s'il en est capable. Il doute: "Est-ce moi qui ai conçu ce peuple? est-ce moi qui l'ai enfanté, pour que tu me dises: Porte-le sur ton sein, comme le nourricier porte un enfant, jusqu'au pays que tu as juré à ses pères de lui donner?"
Son message, c'est: "je veux bien être un leader, un enseignant, mais pas une mère". Car en plus de cela, son rôle de "Mère" du peuple d'Israël lui interdit de pouvoir profiter de sa propre famille. Le bébé "Peuple Juif" est exclusif. Il ne permet pas de s'occuper de sa propre vie, de sa propre famille. C'est un sacerdoce. Et c'est finalement cela, le problème de Myriam.

L'ensemble des commentateurs s'accorde pour dire que son Lachon Hara concerne le délaissement par Moïse de sa femme et de sa famille. La phrase de Myriam (et d'Aaron): "Est-ce seulement par Moïse que l'Éternel parle? N'est-ce pas aussi par nous qu'il parle?" n'est pas de la jalousie. C'est plus profond que cela. Un prophète dans le judaisme n'est pas un moine. Il a le droit d'avoir une famille, des enfants et d'en profiter. Et c'est d'ailleurs le cas pour Myriam et Aaron ! Alors pourquoi Moïse ne pourrait-il pas en faire autant ? Pourquoi met-il sa femme de côté ? Voilà la question de Myriam. Et la réponse de D.ieu est complètement adéquate: Moïse est mon serviteur, ce n'est pas un prophète comme les autres. C'est pourquoi sa vie de tous les jours n'est pas comparable à celle des autres prophètes...

Voilà l'histoire de Beaalotekha: un espoir messianique déçu. La marche vers Israël était programmée, mais elle a été complètement inversée par hédonisme, par l'impossibilité de se satisfaire de sa situation. Et c'est cet attitude, infantile, qui provoque un crise de leadership chez Moïse, qui ne se reconnaît plus dans ce peuple qu'il avait tant défendu lors du Veau d'Or. Et malheureusement, cette crise en appelle d'autres dans la suite du Sefer Bamidbar...et même jusqu'à aujourd'hui. Une lueur d'espoir: la création de l'Etat d'Israël serait-elle le signe que la marche vers Israël s'est ré-enclenché ? Que les Noune se sont à nouveau inversés ?

Il faut l'espérer !

lundi 28 mai 2007

Bamidbar - Un si important désert

Nous voici au 4ème livre de la Thora: Bamidbar - "Dans le Désert".

En français, ce livre est appelé "Les nombres", ce qui n'est pas totalement faux puisque ce livre est également appelé par nos sages "Sefer Hapikoudim", le livre des "denombrements", des "recensements".

Le Netziv de Volojhine, dans Haemek Davar, consacre d'ailleurs l'introduction de ce 4ème livre à l'explication du terme "Pikoudim". Mais ça ce sera pour une autre fois, nous allons pour l'instant nous interroger sur ce terme de "Désert".

Endroit vide, creux, silencieux s'il en est, le désert est un lieu pour le moins étrange lorsqu'il s'agit d'accueillir la révélation du Sinaï. Et pourtant, un livre entier porte son nom.
Pour essayer d'y voir un peu plus clair dans cette notion de désert, je vais essayer de vous parler d'une étude que Benjamin REJTSFBM m'avait proposé à Pessah, puisque comme vous le savez, il est une Havrouta (compagnon d'étude) irremplaçable des jours de Yom Tov.

A Pessah, nous avons étudié un passage du Maharal de Prague, dans son ouvrage traitant de la révélation du Sinaï: Tiferet Israël. Quelques mots du Maharal de Prague: déjà, rien que son nom, je le trouve classe. Prague, Kafka, le Château,.... Et le Maharal: qui n'a pas entendu au moins une fois son nom à propos du Golem, cette créature d'argile auquel le Maharal aurait réussi à donner vie, et qui protégea les juifs de Prague des attaques et pérsecutions....
Mais au-delà de cette légende, le Maharal est une véritable révolution dans le monde juif: c'est un authentique penseur, le premier à avoir une approche systématique des haggadot du Talmud, c'est à dire la partie non-halachique. Certains diront même qu'il est le premier penseur "moderne" du judaïsme. Il était également très attaché aux sciences et à leur importance: un de ses élèves, David Ganz, alla étudier chez Tycho Brahé et Kepler (évidemment l'auteur des lois de Kepler étudiés en 1ère S), deux des plus grands astronomes de leur temps. (André Neher a d'ailleurs consacré un ouvrage à David Ganz: passionnant !)

Le Rav Kook disait du Maharal qu'il était "d'un côté le père de l'approche du Gaon de Vilna, et de l'autre le père de la Hassidout". Lorsqu'on sait que ces 2 approches se sont combattues férocement au point de s'excommunier mutuellement, on ne peut qu'apprécier l'esprit de synthèse du Maharal...Bref, un très grand. Sans rentrer dans le détail du texte qui mériterait un écrit plus rigoureux (ce que ne manquera pas de faire Benjamin, j'en suis sûr), voici quelques pistes données par le Maharal sur cette révélation du Sinaï.

1) Pourquoi la révélation eut lieu au mois de Sivan ?
En effet, Chavouot que nous fêterons la semaine prochaine se passe le 6 Sivan. Le mois de Sivan est le 3ème de l'année. Et pour le Maharal, ce chiffre 3 est fondamental.
- Le 3 vient en effet après 2. Jusque là, ca devrait aller.
- Le 2 est le chiffre symoblisant la dualité: la thèse et l'anti-thèse. Si vous avez fait de la dissert' dans votre vie, vous devriez pouvoir suivre.
- Le 3 est donc le chiffre qui vient créer une synthèse dans une dualité (le 2). C'est le chiffre qui vient dépasser une opposition entre 2 termes. Hegel (qui sachez-le est à l'origine de l'exercice de la dissertation dans notre beau pays) aurait parlé d'Aufhebung.
Mais revenons au Maharal. L'opposition est fondamentale lors de la sortie d'Egypte: le peuple juif sort de centaines d'années d'esclavage et doit se tranformer en peuple libre et autonome. Cette transformation n'est pas du tout évidente: devenir libre n'est pas simple, surtout quand on a experimenté la vie d'esclave et d'assisté pendant tant d'années. C'est donc le don de la loi qui vient opérer cette transformation. C'est la loi, le 3ème terme, qui rendra possible le lien entre l'Egypte et Israël.
Remarque forte intéressante du Maharal: "c'est pour cette raison que la fête de Chavouot a pour signe zodiacal....les Gémeaux. "
Le don de la Thora vient bien opérer un lien entre 2 états. Voilà pourquoi la révélation devait se tenir le 3ème mois.

2) Pourquoi dans le désert ?
Le Maharal propose plusieurs réponses qui montrent que le désert est indispensable à la révélation.

a) Le désert est stérile.
La révélation du Sinaï est l'occasion unique d'un lien entre D.ieu et son peuple. Cette révélation ne peut se faire dans un lieu agité et parasité par la vie humaine. La loi divine, destinée à faire prendre un nouveau départ au peuple d'Israël, ne doit apparaître que dans un contexte totalement détaché de toute problématique humaine.
Ceci nous a rendu perplexe: la Thora n'est elle pas une thora de vie ? N'est-elle pas destinée en priorité à l'homme ? A sa vie de tous les jours ? Pourquoi alors choisir un lieu vide ?

Lors de notre étude, nous avions tenté une réponse en faisant une analogie avec le chirurgien: celui-ci utilise un bistouri. L'objectif premier du bistouri est d'opérer le patient, de rentrer dans son corps et d'être en contact avec la peau et le sang. Mais avant l'opération, un pré-requis est indispensable: le bistouri doit être stérile. La Thora est destinée à l'humanité. Mais pour qu'elle fonctionne, son initialisation ne peut se faire que dans un lieu denué d'humanité...

b) Le désert est constitutif de la spécificité d'Israël.
Pour tous les peuples de la terre, la Loi est le résultat d'un processus qui vise à gérer le mieux possible un comportement déjà existant:
- Les hommes s'entretuent ? hop, une loi: "Ne pas tuer" - Y a trop de chômage ? hop, une loi: "Emploi-jeunes"
- Il faut de l'argent pour payer les autoroutes ? hop, une loi: "plus d'impôts".
Ces lois sont comparables aux lois du code de la route: il existe des voitures circulant n'importe comment: pour limiter les accidents, on va instaurer des règles, régissant la circulation. La Loi donnée aux hébreux est complètement différente: le peuple n'a jamais vécu libre. Il n'ont jamais eu l'occasion de "vivre ensemble" et de décider de leurs lois.
Le peuple juif est le seul peuple à avoir eu une loi avant même d'être un peuple vivant libre sur une terre.
La loi divine ne vient pas a posteriori:
- les règles de cacherout ne sont pas mentionnées dans la Thora pour tenter de conserver un optimum d'hygiène pour l'époque,
- les règles du Chabbat ne sont pas là pour reposer des gens ayant trop travaillé,
Non, la Thora est préexistante à tout comportement humain. Pour cette raison, elle devait être donnée dans le désert: "Je vous donne cette Thora dans un lieu sans vie humaine pour que vous vous rendiez bien compte que cette Loi n'est pas dépendante d'un quelconque comportement humain"
Ce n'est plus comparable au code de la route, mais aux règles du jeu d'échecs: les règles sont pré-existantes au jeu. Elles existent: soit vous les acceptez et vous jouez, soit vous les refusez et vous sortez du jeu. Ces deux sortes de loi (codes de la route et règles du jeu d'échecs) sont très différentes dans leurs implications et leur philosophie. C'est la même différence existant entre une loi humaine et une loi divine... Seul le désert pouvait nous le rappeler....

Le Maharal donne encore d'autres explications qu'il faudrait approfondir et détailler. Mais ce qui est important, c'est que le désert, le Midbar est constitutif de la parole divine. Et d'ailleurs, en hébreu, c'est finalement très clair: le mot "Midbar" (Désert) a la même racine que le mot "Medaber" (Parler). Comme si la parole divine ne pouvait s'acquérir qu'au prix d'un long silence, semblable à celui qui tonne dans le désert...

mercredi 9 mai 2007

Béhar - Judaïsme, Economie, Justice

Les bons sentiments, la Thora jette ça à la poubelle.


Ce qui l’intéresse, c’est le concret, la vie de l’homme, celle de tous les jours….Et ce qui arrive tous les jours, c’est que l’homme doit gagner sa croûte et rentrer dans un circuit économique et social.

Et bien ça, le judaïsme s’y intéresse et plutôt 2 fois qu’une !

Vous connaissez sûrement le livre de Jacques Attali : ' Les juifs, le monde et l’argent '.

Sa thèse principale était que les juifs avaient inventé le capitalisme. C’était également la thèse d’un économiste allemand, Werner Sombart, qui notait que ' les rabbins du Talmud raisonnent comme s’ils avaient lu Ricardo et Marx, ou comme s’ils avaient exercé pendant des années les fonctions d’agent de change au Stock Exchange '.

Outre que Ricardo, Marx et pas mal d’agents du Stock Exchange étaient juifs, la phrase est exacte.Le judaïsme est en effet un des seules ' religions ' à accorder une place prépondérante à l’économie et à son rôle de lien social.

De nombreuses lois font référence à des problématiques économiques :


- Le ' juste prix ' de vente d’un bien doit être composé du prix de revient plus un profit ne devant pas dépasser le 1/6ème du prix de revient (sauf si le vendeur justifie le service rendu)

- Des lois très précises définissent les conditions de fixation des prix en cas de pénurie d’un bien essentiel (afin de ne pas faire ' flamber les cours ')

- De nombreuses lois visent à lutter contre le ' dumping ' (pratique d’un concurrent qui casse ses prix afin d’assécher le marché), Etc…

- Par ailleurs, de nombreuses règles complètement rituelles sont assouplies lorsqu’il y a un risque de perte d’argent. La plupart des décisionnaires autorisent de demander Chabbat à un non-juif de réaliser une action qui n’est interdite que par les sages (et non par la Thora) si la non-réalisation de cette action entraîne une grande perte financière.


On a même vu un décisionnaire célèbre, pourfendre les vendeurs d’aliments ' Casher Lepessah ' à un prix astronomique qui font ' perdre de l’argent aux Béné-Israël ' !


On raconte d’ailleurs l’histoire suivante attribuée à Rabbi Menahem Mendel de Kotzk : celui-ci demanda à ses élèves ce qu’ils feraient s’ils trouvaient une liasse de billets de 100$ dans la rue pendant Chabbat (c’était sûrement pas des $, mais j’adapte…).

Un élève répondit promptement : ' Je ne les prendrai certainement pas ! '

Le Rebbe lui répondit : ' tu n’est alors qu’un imbécile ! '


Un élève opportuniste lui répondit alors : ' je m’empresserai de les prendre ! '

Ce à quoi, il se vit renvoyer : ' tu n’es alors qu’un impie ! '

Jusqu’à ce qu’un élève apporta cette réponse : ' j’étudierai à fond. Et le moment venu, j’analyserai le cas pour savoir quoi faire '.

Bonne réponse bien sûr…


Quel rapport avec la Paracha, me direz-vous ? Eh bien, Behar est un des 3 endroits dans la Thora où l’on parle d’une Halacha qui a réellement bouleversé l’histoire juive pendant 2000 ans : le prêt à intérêt (le Ribit). Le fait que les juifs étaient pendant des siècles les seules personnes pouvant prêter à intérêt aux européens catholiques pour la plupart, a déterminé la vie de nombreuses communautés : tantôt protégés pour le rôle moteur qu’elles apportaient au développement économique d’une ville ou d’un pays, elles étaient également persécutées pour la jalousie et la contrainte qu’elles faisaient peser sur les populations chrétiennes.La défense du prêt à intérêt s’applique effectivement uniquement au juif.

Car comme le dit le Grand Rabbin Bernheim : ' La Halacha nous oblige à un devoir de solidarité accru avec le prochain issu du même peuple du fait d’un rapport de proximité, confinant à l’exigence de fraternité. Mais elle sait que si le prêt à intérêt est ' morsure ' pour le débiteur, elle l’est aussi d’une autre manière pour le créancier pour qui le prêt sans intérêt est un sacrifice pesant. Elle réduit pour cette raison la portée de l’obligation (au juif) '.


Mais ce qui est intéressant dans cette halacha, c’est la réciprocité de l’interdiction : le prêteur n’a pas le droit de prêter avec intérêt…mais l’emprunteur non plus ! Et les deux encourent de graves sanctions en cas de transgression !

Les commentateurs analysent cette double interdiction par la déformation du temps qu’elle engendre : alors que l’emprunteur souhaitera que le temps se rétrécisse un maximum pour ne pas à avoir à payer plus, le prêteur lui souhaitera une durée plus longue afin de recevoir plus d’argent. Ca rappelle les négociations serrées avec les banques !Le temps n’est plus considéré par les deux parties de la même manière. Mais cela va plus loin. Les deux protagonistes révèlent chacun leur vulnérabilité :

L’emprunteur se trouve aspiré par une vie dans laquelle il devra travailler dans cesse afin de ne pas faillir à ses engagements, de peur de se retrouver avec une dette courant sur des dizaines d’années et qui l’handicaperaient irrémédiablement.

Plus de place pour la vie spirituelle. Que du matériel. Plus de projection vers l’avenir pour ce pauvre homme. Il est aliéné par sa dette. Tel est le risque de l’emprunteur avec intérêt et voilà pourquoi la Thora l’interdit.


Le prêteur, lui, prête avec intérêt afin de s’enrichir. Mais il risque de vouloir s’enrichir tant et si bien que l’argent qu’il gagnera sera largement supérieur à ce dont il a réellement besoin. Il s’agit alors d’une course sans fin vers l’enrichissement infini, qui défierait même la mort puisque les intérêts peuvent même encore courir pour les enfants, les petits-enfants, etc… qui n’ont rien à voir avec ses besoins immédiats ! Et ce serait un sentiment grisant d’effacer les frontières de la vie et la mort. Ce risque là, la Thora l’interdit également.


Mais le Grand Rabbin va plus loin et nous donne une formidable leçon :' On assiste à la rencontre de 2 vulnérabilités : le prêteur est-il capable de faire Téchouva, c’est à dire de prêter sans intérêts, permettant à l’emprunteur de se délivrer de tout ce qui a handicapé jusque-là sa vie spirituelle ? Telle est sans doute la véritable idée de justice '.


Le judaïsme ne prône pas l’égalité. La Thora vit dans le concret : elle sait très bien qu’il y aura jusqu’à la fin des temps des riches et des pauvres. Mais pour chacun, elle donne la possibilité de fuir les risques que sa situation peut lui faire encourir. Pour le riche et pour le pauvre, elle montre une voie permettant d’accéder à une vie spirituelle, en tenant compte des caractéristiques de chacun. Le pauvre en évitant de se laisser entraîner dans une vie uniquement matérielle. Le riche, en lui donnant la possibilité de considérer que le prêt d’argent sans intérêt est un moyen de réfréner ses pulsions de désir matériel et de jeter un œil vers une vie plus tournée vers la ' réparation du monde '.


Telle est la justice idéale selon la Thora.

mardi 1 mai 2007

Emor - Attention au business de la sainteté

La Paracha de la semaine commence ainsi : ' D.ieu dit à Moïse : Dis (Emor) aux Cohanim…. '

Contrairement à la Paracha de la semaine dernière où Moïse s’adressait à l’ensemble du peuple sans exception (hommes, femmes, enfants, séfarades, ashkénazes,…), cette fois-ci il ne s’adresse qu’à une partie spécifique du peuple : les Cohen. Maurice Cohen, Jo Cohen, Moïshele Cohen, Izzy Cohen, Meïr Kagan, Aaron Rappaport (qui sont aussi des Cohen), etc...

Et ceux-ci ont un rôle particulier : ce sont des 'véhicules' de sainteté. En étant de manière régulière dans l’enceinte du temple, et ressentant une proximité particulière avec la présence divine, les Cohen se doivent de respecter certains commandements qui leur sont propres.

Et parmi ceux-ci, un commandement particulier, que les Eclaireurs Israélites sont évidemment à même de comprendre : l’uniforme. Ah, cette belle Houltsa orange avec tous ses écussons ! En un clin d’œil, il doit être possible d’identifier un EI à l’aide de son uniforme : Quelle branche ? Combien d’Azimuts , de Guesharim ? Foulard rose donc formateur ? Ah, tiens des tisons, combien y en a ? etc, etc…
Bref, il est facile de passer d’un outil de rassemblement et de progression scout à un instrument permettant de passer pour un beau gosse et plus si affinités… Eh bien, pour le Cohen c’est pareil et l’on va voir qu’il s’agit d’une problématique universelle.

Que dit le verset : ' Ils doivent rester saints pour leur D.ieu '.
Le Netziv de Volojhine, un des très grands penseurs du judaisme contemporain et notamment maître du Rav Kook, a un commentaire très...polémique sur ce verset.
Il dit en effet dans son commentaire sur la Thora (Haemek Davar), que cette sainteté doit se manifester par des qualités morales exceptionnelles dans le cadre du service de D.ieu.

OK, qu’y a-t-il de nouveau là-dedans ? Attendez la suite : …et si le Cohen se met à se prendre pour un saint homme dans sa vie de tous les jours alors qu’il n’est pas en situation de servir D.ieu, ce n’est rien d’autre que de l’arrogance et de la prétention (Gahava ve Hitrabarvout).

Le Cohen est effectivement familier du concept de sainteté. Il a une place à part au sein de peuple d’Israël. Mais attention ! Cette place n’existe que parce qu’il voue sa vie à servir dans le temple et à sanctifier D.ieu.
Le Cohen n’est pas saint en lui-même ! Qu’il n’en profite pas pour se faire mousser à l’extérieur et obtenir des places de ciné gratos ! Quel rapport avec l’uniforme ?
Et bien, dans ce commentaire, le Netziv nous renvoie à une autre de ses œuvres : le Rehev Davar, qui appuie son premier commentaire à l’aide d’exemples issus des livres des prophètes par exemple.
Et il vient rapporter une preuve supplémentaire de ce qu’il vient de dire d'un passage du prophète Ezechiel. Le prophète Ezechiel rappelle en effet les lois applicables aux vêtements sacerdotaux (à l’unif du Cohen quoi !) déjà définis dans la Paracha Tétzavé.
Mais il rajoute quelque chose de nouveau : ' Et quand les prêtres ayant achevé leur service dans la cour intérieure du temple passeront dans le parvis extérieur où se tient le peuple, ils ôteront les vêtements dans lesquels ils ont officié, les déposeront dans les salles consacrées, et en mettront d’autre pour ne pas sanctifier le peuple par leurs vêtements '.

Commentaire du Netziv : les vêtements du Cohen ne doivent servir au Cohen pour qu’il acquiert un statut spécial, indépendamment de son service au temple. S’il profite de son ' outil de travail ' pour faire croire au peuple, qu’il dégage une sainteté intrinsèque, eh bien voilà où se niche ' l’arrogance et la prétention '.

Mine de rien, ce petit commentaire à propos du Cohen est en fait valable pour toutes les générations. Beaucoup (Leibowitz, par exemple) ont d’ailleurs relevé que ce commentaire du Netziv s’adressait surtout aux Rabbis Hassidiques avec leurs habits, leurs rituels et leur cour de fidèles qui les prenaient pour des saints.
Attention prévient le Netziv ! Ces Rabbis ne sont dignes de respect que si leur enseignement et leur service de la Thora sont à la hauteur ! Une adoration aveugle pour une personne avec une longue barbe blanche, un chapeau, des pseudo-formules kabbalistiques ou des amulettes sacrées est condamnée par la Thora !
Le respect dû à un Rav est un respect dû à sa connaissance, à sa capacité d'enseignement et à sa maîtrise de la Thora !
Et nous revoici avec le problème de l’uniforme : celui-ci est un outil pédagogique intrinsèque à la méthode scoute. Il doit bien sûr marquer la hiérarchie, mais attention aux déviations possibles d'arrogance et de prétention ! Le respect du à un 'bel unif' est en réalité un respect dû au parcours pédagogique et militant de celui qui le porte !

Bon, c’est pas mal comme conclusion, mais y a-t-il un vrai rapport entre le Netziv et les EI ?

Evidemment ! Lequel ?
Souvenez-vous, le Netziv mettait en garde dans son commentaire contre les attitudes un peu 'magiques' de certains rabbins très éloignés de réels préoccupations d’enseignement et qui ne lui inspiraient que peu de respect.
Le Netziv était le maître du premier Rav Avraham Itzhak Kook. Le 2ème Rav Kook (Tzvi Yéhouda) était l’élève du 1er (évidemment, c’était son fils !)
Et le 2ème Rav Kook était le maître d’un ancien Commissaire Général des EI : Manitou.
Et que disait Manitou sur ce sujet ? 'Un Rabbin miraculeux, c’est un miracle qu’il soit Rabbin !'

…où l’on retrouve la patte du Netziv !