vendredi 27 avril 2007

Kedochim - Dois-je aimer l'habitant de vladivostok comme moi-même ?

Bon, pour commencer, et comme on approche de la période des partiels, un petit quizz !

1) Qui a inventé le concept de 'tendre la joue' ?
2) Qui a dit 'Eli, Eli, Pourquoi m'as tu abandonné ?'
3) Où est-il écrit: 'Tu aimeras ton prochain comme toi-même' ?

Ca y est, tout le monde a joué ?
Evidemment, ceux qui auront bien répondu auront droit de laisser des commentaires gratuitement sur les résultats de l'élection présidentielle...

Réponses:

1) Le prophète Jérémie
2) Jésus, certes, mais bien avant lui, le prophète Elie
3) Dans les Evangiles, dans la bouche de Paul de Tarse également, mais bien avant eux, dans le Lévitique, chapitre 19, verset 18. Bref, dans notre Paracha de la semaine.

Mais évidemment, cette phrase ('Veahavta lereakha kamokha', 'Tu aimeras ton prochain comme toi-même') a fait couler beaucoup d'encre, et plutôt que de rester dans l’humanitairement correct' (tu vois, autrui est sympa, tu dois l'aimer si tu veux et le respecter, c'est la base si tu veux, sinon tu peux pas vivre quoi, ....mffffffff...t'en veux man ?) essayons de creuser et de faire sortir de cette phrase les sens et les orientations divers qu'elle recèle.

1) Qui est le prochain ?
Autant le dire tout de suite, le prochain, n'est pas tout le monde ! L'écrasante majorité des commentateurs de cette phrase ne l'applique qu'au prochain juif. Eh oui, la Thora est chauvine. Est-ce que cela veut dire qu'on ne doit pas aimer le non-juif ? Evidemment non.
Mais ce que nous apprend la Thora est quelque chose de fondamental: la relation 'd'amour comme soi-même', relation difficile, ne peut s'acquérir qu'avec une personne qui a les mêmes droits et les mêmes devoirs que moi. Une personne qui dans sa relation au monde procède de la même démarche que moi.
La Thora répète d'ailleurs la fameuse phrase quelques versets plus loin (verset 34), lorsqu'elle parle du Guer Tzedek, du converti. 'Et tu l'aimeras comme toi-même'. Le converti n'a pas la même histoire que toi, il n'a pas la même culture. Il n'est clairement pas 'comme toi'. Pourtant, tu dois lui appliquer la même règle qu'à ton prochain 'de naissance', au juif de naissance. Pourquoi ? Parce qu'au moment où le converti entre dans l'alliance, il accède automatiquement aux mêmes droits que toi, aux mêmes devoirs que toi, et prend sur lui le joug divin.

Pas de racisme dans la Thora !
La Thora ne fait pas de différences entre les blancs, les noirs, les jaunes, ou les violets foncés. Mais attention, ne soyons pas béats, la Thora fait tout de même une différence entre les personnes. Mais elle fonde cette différence sur l'acceptation d'un mode de vie, sur des caractéristiques concrètes et juridiques.

2) Oublierais-t-on une partie du verset ?
Evidemment ! On cite systématiquement la fameuse phrase 'Tu aimeras ton prochain comme toi-même'.
Mais le verset ne s'arrête pas là ! Il continue en disant : 'Je suis D-ieu'.
Quel intérêt de nous le rappeler à ce moment là ?
Un intérêt énorme qui change tout le sens de la phrase !!!Si tu dois aimer ton prochain comme toi-même, ce n'est pas par pur gentillesse envers ton ami. Ce n'est parce que les relations de bon voisinage permettent d'avoir une vie plus tranquille. Ce n'est même pas parce qu'il s'agit d'une valeur morale fondamentale.
Non, si on doit aimer son prochain comme soi-même, c'est parce que D-ieu nous l'a ordonné. Point. Notre relation à autrui n'est pas une relation qui vise à faire en sorte de vivre dans un monde pacifié où les conflits disparaîtraient. Non, notre relation à l'Autre est définie par les Lois que D-ieu nous a ordonnées.

Qu'est-ce que ça change ? Ca change tout. Cette loi d'aimer son prochain comme soi-même est donc à mettre en relation avec l'ensemble des autres lois que D-ieu nous a ordonné: manger Casher, mettre un roi à la tête du peuple, créer des tribunaux civils pour juger les conflits. Cette loi n'est pas un axiome universel qui transcenderait tout le reste. Non, c'est une loi qu'il faut placer dans le contexte général du mode de vie social, politique et économique du juif.
Ce n'est pas parce que j'aime mon prochain que je ne vais pas l'assigner en justice si j'estime que j'ai été lésé par exemple....

3) Mais alors pourquoi Rachi cite rabbi Akiva qui disait, comme le dit la chanson: 'Zé Clal Gadol baThora': C'est un grand principe de la Thora ?
Eh bien parce que Rabbi Akiva avait une bonne raison de le dire. Chaque leader de la Thora avait une Mitzva qui lui tenait le plus à coeur, car elle correspondait parfaitement à son expérience et à sa volonté d'enseignement.
Le Ropshitser Rebbe était complètement centré sur la Soukka: il étudiait chaque jour un passage du traité Soukah, ses discours parlaient souvent de soukka. La soukka c'était son dada.
Rabbi Haim de Tshernovitz était un grand fan de la Mitzva de Chabbat.
Rabbi Elimelekh de Lizensk portait un intérêt tout particulier à la Mitzva des Tzitzit.
Rabbi Sarkozy et Rabbanit Royal, lors de leurs enseignements cabbalistiques, tenaient coûte que coûte à rappeler l'importance de la Mitzva dite 'de la valeur Travail'.
Eh bien Rabbi Akiva, c'était 'Tu aimeras ton prochain comme toi-même'. La raison, on la connaît, et elle est très actuelle: ses 24.000 élèves sont morts dans une épidémie pendant le Omer.
Pourquoi ? Car bien que des géants de la Thora, ils n'arrivaient pas à tolérer l'autre. Tolérer l'autre, dans leur cas, voulait dire quelque chose de très précis. On sait qu'il y a 1000 manières d'aborder la Thora ('il y a 70 visages à la Thora').
Dans l'histoire juive, on voit bien que le Hassidisme de Pologne, la néo-orthodoxie américaine, l'étude lituanienne ou la sagesse des maîtres du moyen-âge sont autant de façon différentes d'aborder le judaisme en général.
Eh bien, les élèves de Rabbi Akiva, aussi brillants qu'ils soient, n'arrivaient pas à laisser de la place à leurs collègues, ils ne supportaient pas qu'une autre option puisse exister que la leur.Est-ce vraiment un problème 'd'amour du prochain comme soi-même'.

Oui, dit Manitou, car 'le fait de nature implique la rivalité des personnes les plus proches (...). Les rivalités les plus dangereuses ne sont-elles pas motivées par la prétention de servir le même idéal ?'

Ce qui était vrai pour les élèves de Rabbi Akiva est également vrai pour nous aujourd'hui. La Communauté juive comporte beaucoup de personnes et d'institutions dont la volonté la plus chère est de servir cette même communauté. Et pourtant, combien de conflits entre 'prochains'...Remarquez, ce n'est pas spécifique à la Communauté juive, la campagne électorale des présidentielles 2007 nous a offert de beaux specimens de vacheries entre militants d'un même camp.

La période actuelle du Omer est là pour nous rappeler qu'on ne peut servir un idéal que si on sait faire de la place à ceux qui le partage.

Aharei Mot - Quel rapport avec Kippour ?

Remis des émotions de Pessah ? Remis des quelques soucis digestifs et du rituel pédagogique par excellence qu'est la Haggadah ?

Puisqu'on avait rien dit sur Pessah, on va essayer de lier la fête qui vient de passer avec la paracha qui arrive ce Chabbat: Aharei Mot.

Cette paracha est particulière dans le sens où c'est celle qui a été choisi pour être lu le matin et l'après-midi de la fête de Kippour (eh hop une autre fête en passant...).
Si vous lisez certains passages de la Paracha, il vous apparaîtra qu'on parle en effet du service de Kippour dans le temple, avec le rituel des 2 boucs et tout un tas d'autres choses qui font que ce jour est spécial.
Tout ça, c'est ce qu'on lit le matin de Kippour. Jusque là tout va bien, le rapport entre le passage lu et la fête est éloquent. Mais ça devient un peu plus subtil, si on prend garde à la lecture du Kippour après-midi: toujours la paracha Aharei Mot, mais cette fois-ci un passage sur toutes les unions sexuelles interdites: inceste, adultère, homosexualité, zoophilie, ...

Quel rapport avec Kippour ?
Manitou explique que les périodes de pénitence de la tradition juive, en bref Roch Hachana et Kippour, visent à rappeler à l'homme quel est le projet à accomplir: 'une âme accordée à un corps'.
En d'autres termes, une aspiration à la spiritualité, mais complètement engagé dans le monde terrestre dans lequel nous vivons: un corps et une âme en plein équilibre.
Ce que la Thora dit, et particulièrement le jour de Yom Kippour, c'est que le 'mal' est une atteinte à la définition que D.ieu a donné à l'homme: une entité chargée d'équilibrer les aspirations de son corps et de son âme.

Il y a donc 2 façons de 'faire le mal':

- privilégier son âme au détriment de son corps: c'est la position de l'ascète, de celui qui s'isole complètement du monde environnant pour, soi-disant, obtenir une plus grande proximité avec D.ieu. Une telle attitude est systématiquement dénoncée par la Thora.
Une histoire connue du Talmud raconte comment Rabbi Chimon Bar Yohai (le plus grand rabbin tunisien avec Rabbi Meir baal Haness ;-)) et son fils sont restés enfermés pendant des années dans une caverne à étudier la Thora et ce, afin d'échapper aux romains. En sortant de la caverne, ils n'étaient plus capables de voir un paysan labourer sa terre sans le fusiller (littéralement !) du regard. On dit, en effet que c'était X-Men avant l'heure: leur regard était tellement puissant qu'ils mettaient le feu au monde qui les entourait.
Que croyez-vous qu'il arriva ? D.ieu leur demanda de retourner se calmer dans la caverne et de n'en sortir que lorsque l'association de l'âme et du corps leur aura enfin reparu normal, et conforme au projet de D.ieu.
C'est à Roch-Hachana que nous mettons en garde contre cette déviation du projet divin.

- 2ème écueil: privilégier son corps au lieu de son âme. Ce que la Thora appelle 'le mal' n'est pas un quelconque comportement maléfique car déviant de certaines règles sociologiques ou naturelles. L'inceste n'est, par exemple, pas interdit chez les juifs parce qu'il existe un risque de consanguinité. La preuve, il existe un cas théorique dans le judaïsme dans lequel un frère et une soeur peuvent se marier, de manière complètement légale.
L'inceste est interdit car il ne rentre pas dans le projet divin: pouvoir faire ce qu'on veut avec son corps avec qui on en a envie est peut-être un signe de progrès social pour certains journaux d'avant-garde, mais ce n'est pas exactement comme ça que la tradition juive voit les choses...
Le jour de Kippour est justement là pour rappeler ces fautes et déviations. Les lois de Kippour sont d'ailleurs là pour le rappeler: pas d'eau, pas de nourriture, pas de relations sexuelles le jour de Kippour, pas de chaussures en cuir, pas de soin du corps.

Le jour de Kippour, et la Paracha de Aharei Mot est également là pour le rappeler, nous mettons en garde contre les déviations du corps.

Quel rapport avec la fête de Pessah qui vient de s'écouler ?
Eh bien, il s'agit d'une autre forme de déviation que l'on peut rencontrer et que nous, éducateurs ne devons pas laisser passer.
Il s'agit d'un explication que m'a donné notre fameux Benjamin REJTSFBM (qui le tient lui-même de son maître Rav Ouri Cherki, lui-même élève de Manitou.) à propos de la question du Sage (du Hakham) lors du Seder: à sa question on lui répond quelque chose d'assez bizarre. Au lieu d'un beau discours sur la notion de peuple libéré, de la sortie d'Egypte début d'une nouvelle ère, on ne lui parle que de l'interdiction de manger quoique ce soit après l'Afikomane.

N'est-ce pas une réponse un peu aride et sans saveur ?
Eh bien oui, mais c'est le Sage qui l'a bien cherché ! Il est, une fois n'est pas coutume, à table avec des personnalités différentes, avec un méchant, avec quelqu'un qui ne connaît absolument rien au point qu'il ne peut questionner, ou bien même avec un simple qui ne cherche qu'à apprendre. Et que fait-il ? Il pose une question de Halacha pure ! 'Que sont vos lois, et vos lois et vos lois'!!!

A question idiote, réponse idiote répond le Séder. Tu veux connaître une loi, en voilà une: on ne mange pas après l'Afikomane.
Sous-entendu: te rends-tu compte que tu risques de gâcher une occasion unique de partager tes connaissances avec tes semblables et qu'à force de rester isolé dans tes bouquins, tu risques de perdre tout lien avec ton prochain, ce qui est infiniment plus grave !

Le projet divin est un équilibre qu'il convient de ne point rompre. Voici une des leçons essentielles de cette Paracha, du jour de Kippour et même du Séder de Pessah !

mercredi 25 avril 2007

Oraïta - Téchouva du coeur ou de l'esprit ?

Depuis quelques années en France, des organismes se sont spécialisés dans le "Kirouv". Cette notion, importée des Etats-Unis et d'Israël consiste à "rapprocher" (sens etymologique du mot hébreu Kirouv) les Juifs non-pratiquants d'un mode de vie plus proche de celui prôné par la tradition juive, c'est à dire guidé par la vie en communauté, la pratique des Mitzvot et l'étude de la Thora.

En France, les principaux acteurs du Kirouv se retrouvent autour d'organismes tels que Oraïta, Arakhim ou encore Lev.
Leur principe est simple: organisation de grands séminaires dans un cadre agréable, principalement ouvert à des Juifs non-pratiquants et souvent très éloignés de toute éducation ou connaissance juive et les sensibiliser à la Thora à travers des conférences mêlant des sujets extrêmement variés, mais s'adressant principalement au coeur, à l'émotion ou même au sensationnel.

La plupart des participants en ressortent enchantés et beaucoup (70 000 en France annonce Oraïta) font Téchouva en choisissant d'adopter le mode de vie ancestral des Juifs guidés par la Halakha.
Organisme de salubrité publique, pourrait-on dire, en ces temps où l'assimilation gronde, et où une grande majorité des Juifs de ce pays n'est pas capable de lire un texte simple en hébreu, de le traduire et de donner simplement la descendance d'Abraham sur 3 générations.

Pourtant, certains "détails" coincent. Et nous obligent à nous interroger sur la validité de cette Téchouva. Un retour à la tradition aussi brusque est-il pérenne ? Ne pas passer par un long travail de maturation personnelle et de recherche introspective permet-il ensuite une transmission fidèle et qui puisse traverser les âges ? N'est-il pas risqué de fonder un changement de vie sur une démonstration de codes de la Thora "prouvant" que la Thora avait prévu le 11 septembre, la Shoa, le meurtre d'Itzhak Rabin ou le règne de Louis XIV ?

Quelques extraits de conférence un peu baroques:
Une conférence sur l'avenir du peuple juif, dépeint à travers des considérations dignes de Nostradamus:
"Souvenez-vous de Pourim, lorsque Aman, le Perse, n°2 du régime à l'époque, avait décidé de détruire le peuple juif. Qui avons-nous en face aujourd'hui ? Un Perse. N°2 du régime. Dont le nom rappelle étrangement celui de son glorieux ancêtre: Amaninejad !"

Rappelons quand même que son vrai nom, c'est Ahmadinejad. C'est déjà moins ressemblant...

Une conférence sur l'importance de la casherout où, pour bien sensibiliser l'auditoire, on rapporte l'histoire d'un déporté à Auschwitz qui aurait refusé pendant les 3 ans de présence dans le camp une tranche de porc proposée par un soldat allemand. Et que la veille de la libération du camp par l'armée américaine (ou soviétique, dit le conférencier qui dit ne pas s'en rappeler), le soldat SS lui aurait intimé l'ordre de manger sous peine d'une balle dans la tête. Le déporté refusa de manger alors que la libération était quasi-assuré le jour d'après. L'Allemand le tue. Un aumônier de l'armée libératrice dit alors aux autres déportés présents que son comportement doit nous rappeler à quel point ce Juif a porté le respect de la casherout et qu'aujourd'hui, aller au Mac Do manger un Fish, parce que je m'en fiche, sourie le conférencier, eh bien c'est insulter la mémoire de ce juif et des 6 millions qui ont donné leur vie pour le respect des commandements divins.

3 ans à Auschwitz avec un allemand sur le dos sans mourir ? Même historiquement, c'est très invraisemblable, les Juifs n'ayant vraiment commencé à arriver que mi-42 et que le camp a été libéré en janvier 45, soit moins de 3 ans.
Alors armée américaine ou soviétique ? Si c'est Auschwitz, c'est bien évidemment l'armée Rouge. Un aumônier dans l'armée de Staline ? C'est un scoop...
Les 6 millions de juifs respectaient donc tous les règles de la casherout ? Autre scoop...

Ou encore les fameux codes dans la Thora, censés montrer la puissance historique et indépassable de la Thora à travers de subtils jeux mathématiques.

Je suis donc allé discuter avec un des responsables d'Oraïta. C'était très instructif. Sur les imprécisions historiques ou les "écarts" par rapport à une position rationaliste, les positions n'évoluent pas. Cela marche, donc on continue comme ça.
Sur le fond de leur démarche en revanche, ils sont extrêmement lucides: ils s'adressent d'abord à l'émotion avant de toucher l'intellect, l'objecif étant avant tout "de créer une fissure dans la Kelipa (l'écorce) afin d'atteindre l'âme de ces gens".

A la question sur la qualité de la Téchouva, la réponse est également pleine de bon sens: "Nous savons bien que ce n'est pas en 3 jours que quelqu'un peut réellement changer. C'est pour cela que nous avons dans nos séminaires des personnes spécialement chargées de suivre les participants après le séminaire. C'est ce que font les sectes. Si elles arrivent à convaincre des gens avec un fond spirituel égal à zéro, imaginez ce qu'il est possible de faire avec la Thora comme proposition ! Maintenant, si les personnes ne veulent pas être rappelées, nous les laissons évidemment tranquilles"

Il y a donc des personnes qui ressortent insensibles ?

"Evidemment. Il y a même des gens qui sont encore plus virulents après un séminaire. Mais que faire ? Comme cela nous posait tout de même un problème de conscience, nous avons posé la question aux plus hautes autorités halakhiques. Celles-ci nous ont encouragé à continuer: la situation est critique, nous ne pouvons malheureusement pas nous permettre de faire du sur-mesure. Le peuple juif est en danger. Il faut savoir également que nous avons évolué sur le public que nous touchons. Auparavant, seuls les non-pratiquants (chabat, casherout,..) étaient admis. Le Rav Ovadia Yossef nous a demandé de prendre également un public religieux: celui-ci aussi a besoin de renforcement. Trop souvent, sa pratique est mécanique et dénuée de contenu spirituel."

Mais quand même les conférences, c'est parfois un peu limite non ?
"Nous avons envoyé un questionnaire à toutes les personnes qui sont passées par Oraïta, pour savoir ce qui les avait poussé à revenir vers la Thora. Vous savez ce qu'ils ont répondu ? Environ 10% ont dit que c'était les conférences. Notre égo en a pris un coup, me dit-il en souriant. Ce qui leur a fait tilt, c'est avant tout les moments informels, les repas, l'esprit de groupe, le fait que les rabbanim aient parlé avec eux, leur ait montré que leur existence avait une importance pour nous. Les conférences finalement ne sont qu'un pretexte nous permettant de vivre ces moments là."

Effectivement, cette vitesse, cette impatience, peut avoir quelque chose de gênant en regard de l'injonction talmudique de mettre les mains dans le cambouis, si opposé au "moment de grâce" chrétien.
Mais finalement, puisque les responsables de ces entreprises sont lucides, conscients des limites de leur approche, mais aussi de l'urgence qui les meut, il est peut-être important de ne pas leur jeter la pierre trop vite, mais d'établir en parallèle des structures dans lesquelles l'étude rigoureuse, authentique et toujours renouvelée de la Thora pourra accueillir ces nouveaux venus, "fontaines d'eau fraîche" toujours enrichissants pour les vieux de la vieille...

Et aussi se rappeler qu'en ces temps troublés où l'individualisme triomphe dans nos sociétés occidentales, on peut, avec un peu de chaleur et d'amitié, faire des miracles.

mardi 17 avril 2007

Tazria - L'unité du peuple juif, un mythe ?

Ah, quel accroche publicitaire !


Parler d’unité du peuple juif, c'est la garantie de soulever les foules et de lancer d'interminables discussions.

C'est réussi à remplir un shabbat après-midi avec un oneg improvisé:"Chers amis, cet après-midi, 3 ateliers débats:

1. le conflit israélo-palestinien

2. l’identité juive

3. l’unité du peuple juif


Résultat: 4 heures de colloque remplies en 2 minutes !

Malgré tout ce qu'on peut en dire, il n'en reste pas moins que l'unité du peuple juif est une problématique considérable, notamment depuis la sécularisation survenue à la fin du 18ème siècle car elle rejoint une question lancinante : qu’est-ce qu’être juif ? Question absurde avant le 18ème siècle, question angoissante après. Nous y reviendrons.


Mais si nous profitions de la Paracha pour regarder ce que la Thora peut nous en apprendre ?

Si vous regardez le début de la Paracha, c'est clair: « une femme qui enfante un garçon (...) devra le circoncire le 8ème jour ».

Grand moment pour tous les garçons juifs: c'est dans ce passage qu'on apprend que nous devons subir une petite opération chirurgicale dès le 8ème jour de notre vie à un endroit particulièrement sensible...

Mais, la chose est tout de même très étonnante. Pourquoi le redire ici ? Nous le savions déjà ! Parachat Lekh-Lekha, D.ieu ordonne déjà à Avraham de se circoncire et de circoncire ses descendants.On ne peut pas être plus clair: "A l'âge de 8 jours, tout mâle parmi vous sera circoncis..." !

Pourquoi cette redondance ?

C'est d'autant plus étonnant que le grand Maïmonide, dans son code de lois, nous dit bien que l'on effectue la circoncision, non pas à cause d'Avraham, mais à cause de ces quelques mots de Tazria: "Au 8ème jour, on circoncira la chair de son prépuce".

Que veut nous apprendre Maïmonide, le Rambam ?


Une chose très importante et fondamentale: ce qui engage le juif du point de vue de sa foi, ce ne sont pas des actes censés rappeler le passé ou des faits héroïques de nos ancêtres.

Ce qui est important pour le juif, ce sont les commandements que la révélation du Sinaï nous a imposés. Le service de D.ieu n'est pas la commémoration d'un passé. C'est la réalisation des commandements que D.ieu nous a ordonnés. C'est comprendre en quoi ils sont importants pour notre attitude et notre vie au 21ème siècle.


Je ne sais pas si ce que je raconte ci-dessus vous parle vraiment. Déjà, je sens que la tension retombe depuis mon premier titre un peu démago...


Mais nous allons essayer d'illustrer cette idée avec un évènement qui s'est produit dans la vie du Professeur Yeshayahou Leibowitz (vous savez, le professeur de neurobiologie, philosophie, médecin, directeur de l'Encyclopédie Hébraïque, grand commentateur de Maïmonide et frère de Nehama Leibowitz que l'on a déjà croisé...vous devez bien connaître maintenant, non ? ;-)) et qui nous renvoie directement à notre fameux problème d'identité juive.

Je vais vous retranscrire intégralement les paroles du Professeur Leibowitz car il jette un éclairage particulier sur le commentaire ci-dessus...et en plus c'est une première approche de Pessah !


A vous Professeur ! (j'ai toujours rêvé de dire ça...):




"Il y a quelques années, je fus invité à participer à un séminaire organisé dans une des plus grandes bases de Tsahal, à l'intention des officiers supérieurs de l'armée et qui eut lieu au milieu de la fête de Pessah. Le thème du séminaire (...) était: "Judaïsme, peuple juif et Etat juif".

Le débat fut très sérieux et les interventions très vives. (..) Sous des angles différents, tous ont abordé le sujet avec gravité, comme une question qui les touchait au plus vif.

Pour ma part, je pointai ce fait important et grave, à savoir qu'un fossé s'était creusé entre Juifs observant la Thora et ses commandements et Juifs qui ne le font pas. Ce fossé n'est pas seulement idéologique, il est aussi, presque nécessairement, existentiel. Deux juifs ne peuvent pas dîner à la même table si seul l'un d'entre eux observe la cacheroute. Les familles observantes ne peuvent envisager de mariage avec des familles qui ne le sont pas, dès lors que l'un des 2 éventuels époux insiste sur le respect des règles de pureté familiale, tandis que l'autre le refuse. De même des Juifs conscients de l'être ne peuvent pas travailler ensemble dans le même lieu de travail à cause du respect différent qu'ils portent au Shabbat. Et pourtant, la cuisine et la table, le sexe et la vie conjugale, le travail, constituent les réalités de la vie.

Nous constatons donc que nous ne pouvons pas mêler nos vies.

L'un des participants, un officier supérieur de Tsahal, fit remarquer que Pessah appartenait au patrimoine national commun. Même si nous le concevons d'une manière différente, nous faisons tous le seder (..) parce que nous avons tous conscience que l'histoire du peuple juif a commencé historiquement et symboliquement avec l'évènement de Pessah et que nous souhaitons la poursuivre.

Ces paroles furent prononcées avec une totale sincérité et une grande émotion. Je lui répondis en ces termes: "Imaginez la situation qui se serait produite si je n'avais pas été invité à ce séminaire dans une base de Tsahal. J'aurais sans doute mis à profit les vacances de Pessah pour me promener dans le pays avec ma femme. Nous sommes aujourd'hui accablés par la canicule (...). Supposons par hasard, que nous nous trouvions à côté du village où vous habitez et que nous entrions dans votre ferme. Savez vous que nous n'aurions rien pu boire chez vous, parce que votre vaisselle ne répond pas aux règles de cachérisation ?Vous êtes l'officier qui, dans l'armée, commande à mes enfants et à mes petits-enfants, et moi, je n'aurais pas pu boire le verre d'eau que vous m'auriez proposé. Pessah n'est plus aujourd'hui un patrimoine commun, il exprime plutôt le profond abîme qui existe entre nous".


Très ému, l'officier répondit: "bien que vous mettiez le doigt sur une donnée angoissante du point de vue de la conscience, Pessah reste malgré tout quelque chose qui nous est commun. Nous considérons tous Pessah comme le symbole du début et de la continuation de l'histoire du peuple juif, et nous partageons l'intention et la volonté d'être le maillon qui prolonge cette chaîne historique".

Je fus obligé de relever l'erreur de notre homme.

Je lui dis: "Je comprends et je ressens aussi la sincérité de vos propos et la profonde émotion qu'ils manifestent. Pour vous, Pessah est vraiment un grand symbole de l'histoire du peuple juif. Mais pour ma femme et moi, Pessah n'est pas un symbole, mais la réalité. Pessah ne consiste pas en ce que nous nous souvenions, à travers certains symboles, du début de l'histoire du peuple juif. Pour nous, Pessah signifie que 7 jours durant, nous vivons concrètement une existence différente de celle de toutes les autres semaines de l'année.En effet, avant Pessah, nous, ou plutôt ma femme, nous mettons notre maison sens dessus dessous afin de la purifier pour Pessah. Pour vous, Pessah est une affaire sentimentale, et je ne le dis pas avec mépris car les sentiments sont une chose de très grande importance. Néanmoins, il ne s'agit pour vous que d'une affaire sentimentale, tandis que pour nous Pessah est une données existentielle, une question qui touche à notre vie concrète, d'aujourd'hui, en ce moment, et non pas le souvenir d'un événement historique ou légendaire, qui se déroula il y a 3500 ans. Pessah nous confronte au problème le plus grave auquel le peuple juif et le judaïsme doivent aujourd'hui faire face."


La base de Tsahal où se trouvait le professeur Leibowitz, c'est un des rares endroits (avec les camps EI par exemple) où toutes les composantes de notre peuple peuvent se retrouver et avoir ces discussions.

Une base de l'armée est-elle le seul moyen de pouvoir faire face à des questions telles que « Qu’est-ce qu’être juif » ou « Comment peut-on vivre ensemble » ? Ce serait triste...


Nota : Le commentaire, ainsi que le récit sont issus du livre de commentaires de la Paracha de Yeshayaou Leibowitz "Brèves Leçons Bibliques", chez Desclée de Brouwer.